
Face à la multiplication des instances répressives, le phénomène de cumul des sanctions s’intensifie dans notre système juridique français. Un même comportement peut aujourd’hui être sanctionné simultanément par le juge pénal, les autorités administratives indépendantes, ou encore les instances disciplinaires. Cette superposition de répressions soulève des questions fondamentales touchant aux droits de la défense et au principe non bis in idem. Entre protection de l’ordre public et garantie des libertés individuelles, le droit français navigue dans un équilibre précaire. Les juridictions nationales et européennes tentent d’encadrer cette pratique tout en préservant l’efficacité répressive. Décryptage d’un phénomène juridique complexe qui transforme profondément notre conception de la sanction.
La problématique du cumul des sanctions en droit français
Le système juridique français se caractérise par une pluralité d’ordres répressifs qui peuvent intervenir pour sanctionner un même comportement. Cette situation crée un risque de cumul des sanctions qui interroge les principes fondamentaux de notre droit. Le cumul peut prendre différentes formes : superposition de sanctions pénales et administratives, addition de sanctions disciplinaires et pénales, ou encore combinaison de sanctions administratives et disciplinaires.
Cette multiplication des sources répressives s’explique par l’évolution de notre société et la spécialisation croissante des instances de contrôle. Les autorités administratives indépendantes comme l’Autorité des marchés financiers (AMF), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ou l’Autorité de la concurrence disposent désormais de pouvoirs de sanction considérables, parfois supérieurs à ceux du juge pénal. Cette situation génère des tensions entre l’efficacité répressive recherchée et le respect des droits fondamentaux.
La problématique du cumul des sanctions soulève plusieurs questions juridiques majeures. La première concerne le respect du principe non bis in idem, selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni deux fois pour les mêmes faits. Ce principe, consacré par l’article 4 du Protocole n°7 de la Convention européenne des droits de l’homme, semble mis à mal par ces cumuls. La seconde question touche à la proportionnalité des sanctions cumulées, qui peuvent aboutir à une répression excessive par rapport à la gravité des faits.
Les justiciables se retrouvent parfois confrontés à plusieurs procédures simultanées ou successives pour un même comportement. Un dirigeant d’entreprise peut ainsi faire l’objet de poursuites pénales pour abus de biens sociaux, tout en étant sanctionné par l’AMF pour manquement à l’obligation d’information du marché, et éventuellement par ses pairs dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Cette multiplication des procédures complique considérablement l’exercice des droits de la défense et crée une insécurité juridique préjudiciable.
- Cumul pénal/administratif (exemple : délit d’initié et manquement d’initié)
- Cumul pénal/disciplinaire (exemple : corruption et manquement déontologique)
- Cumul administratif/disciplinaire (exemple : sanction CNIL et sanction ordinale)
La Cour de cassation et le Conseil d’État ont longtemps admis ces cumuls, considérant que les différentes sanctions relevaient de régimes juridiques distincts poursuivant des finalités différentes. Toutefois, cette conception a été progressivement remise en question sous l’influence de la jurisprudence européenne, conduisant à une évolution sensible du droit français en la matière.
L’évolution de la jurisprudence européenne sur le cumul des sanctions
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a joué un rôle déterminant dans l’encadrement des cumuls de sanctions, notamment à travers son interprétation du principe non bis in idem. L’arrêt fondateur Grande Stevens c. Italie du 4 mars 2014 a marqué un tournant dans cette jurisprudence. Dans cette affaire, la Cour a condamné l’Italie pour avoir poursuivi et sanctionné les requérants au pénal après qu’ils aient déjà été condamnés par l’autorité boursière italienne pour les mêmes faits.
La CEDH a adopté une approche matérielle plutôt que formelle du principe non bis in idem, considérant qu’il faut s’attacher à la nature de l’infraction et non à sa qualification juridique. Ainsi, peu importe que les sanctions soient qualifiées d’administratives, pénales ou disciplinaires en droit interne : si elles poursuivent une finalité répressive et ont un caractère punitif, elles doivent être considérées comme des sanctions pénales au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette approche a été confirmée et affinée par l’arrêt A et B c. Norvège du 15 novembre 2016, dans lequel la Grande Chambre de la CEDH a nuancé sa position en introduisant le critère du « lien matériel et temporel suffisamment étroit » entre les procédures. Selon cette jurisprudence, le cumul de procédures et de sanctions peut être compatible avec le principe non bis in idem si :
- Les procédures poursuivent des finalités complémentaires et traitent d’aspects différents du même comportement
- Le cumul des procédures est prévisible
- Les procédures sont conduites de manière à éviter toute répétition dans la collecte et l’appréciation des preuves
- La seconde sanction tient compte de la première pour éviter une charge excessive
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a développé une jurisprudence parallèle sur cette question. Dans l’arrêt Åkerberg Fransson du 26 février 2013, elle a reconnu que le principe non bis in idem, consacré par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’oppose à un cumul de sanctions fiscales et pénales pour les mêmes faits, sauf si la première sanction n’a pas un caractère pénal.
Plus récemment, dans les arrêts Menci, Garlsson et Di Puma du 20 mars 2018, la CJUE a précisé que le cumul de sanctions pénales et administratives de nature pénale peut être admis sous certaines conditions strictes : il doit poursuivre un objectif d’intérêt général, prévoir des règles claires et précises permettant de coordonner les procédures, et garantir que les sanctions cumulées soient proportionnées à la gravité de l’infraction.
Cette évolution jurisprudentielle européenne a contraint les juridictions françaises à adapter leur approche du cumul des sanctions, conduisant à une transformation progressive du droit national en la matière.
L’adaptation du droit français face aux exigences européennes
Confronté aux évolutions jurisprudentielles européennes, le droit français a dû s’adapter pour encadrer plus strictement les cumuls de sanctions. Cette adaptation s’est faite par étapes, sous l’impulsion conjointe du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
Le Conseil constitutionnel a joué un rôle précurseur en posant dès 1989 des limites au cumul des sanctions. Dans sa décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 relative à la Commission des opérations de bourse (ancêtre de l’AMF), il a affirmé que le principe de proportionnalité implique qu’en cas de double procédure, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé des sanctions encourues.
Une avancée majeure est intervenue avec la décision QPC EADS du 18 mars 2015, dans laquelle le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions du Code monétaire et financier qui permettaient de poursuivre et sanctionner une personne deux fois pour les mêmes faits, d’une part pour le délit d’initié devant le juge pénal, d’autre part pour manquement d’initié devant la Commission des sanctions de l’AMF. Le Conseil a considéré que ces dispositions méconnaissaient le principe de nécessité des délits et des peines, découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Suite à cette décision, le législateur est intervenu par la loi du 21 juin 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin 2). Cette loi a mis en place un mécanisme d’aiguillage visant à éviter les doubles poursuites en matière financière. Concrètement, lorsque le Procureur de la République financier et l’AMF envisagent de poursuivre une personne pour les mêmes faits, ils doivent se concerter pour déterminer quelle voie répressive sera privilégiée.
Les mécanismes d’articulation des procédures répressives
La loi Sapin 2 a introduit un dispositif innovant à l’article L. 465-3-6 du Code monétaire et financier. En cas de concomitance de procédures, le Procureur de la République financier dispose d’un délai de deux mois pour indiquer s’il souhaite mettre en mouvement l’action publique. En l’absence de réponse dans ce délai, ou en cas de réponse négative, l’AMF peut engager la procédure de sanction.
De même, si l’AMF envisage de notifier des griefs pour des faits susceptibles de constituer un délit, elle doit en informer le Procureur de la République financier, qui dispose alors du même délai de deux mois pour décider s’il souhaite engager des poursuites pénales. Dans l’affirmative, l’AMF ne peut pas poursuivre la procédure de sanction.
Ce mécanisme d’aiguillage a ensuite été étendu à d’autres domaines, comme celui des sanctions prononcées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Toutefois, il ne couvre pas l’ensemble des hypothèses de cumul de sanctions, laissant subsister des zones grises dans lesquelles le risque de double poursuite persiste.
Parallèlement, les juridictions suprêmes françaises ont progressivement intégré les exigences européennes dans leur jurisprudence. La Cour de cassation, dans un arrêt du 6 mars 2019, a fait application des critères dégagés par l’arrêt A et B c. Norvège pour admettre le cumul d’une sanction pénale et d’une sanction fiscale, en considérant qu’il existait un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les deux procédures.
Le Conseil d’État, quant à lui, a adopté une approche similaire dans son arrêt AFPA du 12 octobre 2018, en jugeant que le principe non bis in idem ne s’oppose pas à un cumul de sanctions administrative et pénale pour les mêmes faits, sous réserve que ce cumul soit proportionné à la gravité de l’infraction et que les sanctions poursuivent des finalités distinctes.
Les secteurs particulièrement touchés par le phénomène du cumul
Certains domaines du droit sont plus exposés que d’autres au risque de cumul des sanctions. Le droit financier constitue sans doute le terrain d’élection de ce phénomène, avec la coexistence de sanctions pénales prévues par le Code monétaire et financier et de sanctions administratives prononcées par l’Autorité des marchés financiers. Les cas emblématiques d’abus de marché (délit d’initié/manquement d’initié, manipulation de cours) illustrent parfaitement cette problématique.
Avant la réforme issue de la loi Sapin 2, une même personne pouvait être poursuivie et condamnée deux fois pour les mêmes faits constitutifs d’un abus de marché : une première fois par l’AMF pour manquement administratif, une seconde fois par le tribunal correctionnel pour délit. Cette situation a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision EADS du 18 mars 2015, conduisant à la mise en place du mécanisme d’aiguillage précédemment évoqué.
Le droit fiscal représente un autre domaine propice au cumul des sanctions. Un contribuable qui a sciemment omis de déclarer des revenus peut se voir infliger à la fois des pénalités fiscales par l’administration fiscale et une condamnation pénale pour fraude fiscale. La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a tenté de résoudre cette difficulté en prévoyant que les poursuites pénales pour fraude fiscale ne peuvent être engagées qu’après avis conforme de la Commission des infractions fiscales, et en réservant les poursuites pénales aux cas les plus graves.
Le cas particulier des professions réglementées
Les professions réglementées (avocats, médecins, notaires, etc.) sont particulièrement exposées au risque de cumul des sanctions. Un professionnel peut être sanctionné disciplinairement par son ordre pour manquement à ses obligations déontologiques, tout en faisant l’objet de poursuites pénales pour les mêmes faits.
Ainsi, un avocat qui détourne des fonds clients peut être radié du barreau par le Conseil de discipline et condamné pénalement pour abus de confiance. De même, un médecin qui délivre des certificats de complaisance peut être sanctionné par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins et poursuivi pénalement pour faux et usage de faux.
La jurisprudence admet généralement ces cumuls en considérant que les sanctions disciplinaires et pénales ne protègent pas les mêmes intérêts : les premières visent à préserver l’honneur et la réputation de la profession, tandis que les secondes sanctionnent l’atteinte à l’ordre public général. Toutefois, cette approche est de plus en plus contestée à la lumière des évolutions jurisprudentielles européennes.
Le droit de la concurrence constitue également un terrain fertile pour le cumul des sanctions. Une entente anticoncurrentielle peut donner lieu à des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence, mais aussi à des poursuites pénales pour délit de participation à une entente illicite. De plus, les personnes lésées par ces pratiques peuvent engager des actions en responsabilité civile pour obtenir réparation de leur préjudice.
Enfin, le droit de l’environnement n’échappe pas à cette problématique. Une pollution peut entraîner des sanctions administratives prononcées par le préfet (mise en demeure, consignation de sommes, fermeture d’installation), des poursuites pénales pour atteinte à l’environnement, et des actions civiles en réparation du préjudice écologique.
Cette diversité de situations illustre l’ampleur et la complexité du phénomène de cumul des sanctions dans notre système juridique. Elle souligne la nécessité d’une réflexion approfondie sur les moyens de préserver l’efficacité répressive tout en garantissant les droits fondamentaux des justiciables.
Vers un encadrement cohérent des cumuls de sanctions
Face aux critiques croissantes et aux évolutions jurisprudentielles, plusieurs pistes de réforme se dessinent pour encadrer de manière plus cohérente les cumuls de sanctions. Ces propositions visent à concilier l’efficacité répressive avec le respect des droits fondamentaux des justiciables.
Une première approche consisterait à généraliser les mécanismes d’aiguillage mis en place par la loi Sapin 2 dans le domaine financier. Ce système, qui impose une concertation entre les autorités de poursuite pour déterminer quelle voie répressive sera privilégiée, pourrait être étendu à d’autres secteurs comme le droit fiscal, le droit de la concurrence ou le droit de l’environnement. Cette solution présente l’avantage de prévenir les doubles poursuites en amont, évitant ainsi les risques de contradiction entre décisions et d’atteinte au principe non bis in idem.
Une deuxième piste serait de mieux définir les critères de répartition entre les différentes voies répressives. Le législateur pourrait établir des seuils ou des critères objectifs permettant de déterminer si un comportement relève de la répression administrative, pénale ou disciplinaire. Par exemple, en matière fiscale, les fraudes dépassant un certain montant ou présentant un caractère particulièrement organisé pourraient être systématiquement orientées vers la voie pénale, tandis que les fraudes de moindre importance seraient traitées par l’administration fiscale.
La nécessité d’une meilleure coordination entre autorités répressives
Au-delà des réformes législatives, une meilleure coordination entre les différentes autorités répressives apparaît indispensable. Cette coordination pourrait prendre la forme de protocoles d’accord entre le Parquet et les autorités administratives indépendantes, définissant les modalités de leur coopération et les critères d’orientation des dossiers.
De même, la mise en place de bases de données partagées permettrait aux différentes instances répressives d’avoir connaissance des procédures en cours ou achevées concernant une même personne pour les mêmes faits, évitant ainsi les risques de double poursuite par inadvertance.
Une troisième voie de réforme consisterait à renforcer le principe de proportionnalité des sanctions cumulées. Lorsqu’un cumul est admis, il conviendrait de prévoir des mécanismes garantissant que le montant global des sanctions prononcées reste proportionné à la gravité des faits. La seconde autorité à se prononcer devrait systématiquement tenir compte de la première sanction infligée, voire prévoir des mécanismes d’imputation automatique.
Certains proposent même d’aller plus loin en instaurant un plafond global applicable à l’ensemble des sanctions susceptibles d’être prononcées pour les mêmes faits, quelles que soient les autorités concernées. Ce plafond pourrait être fixé en fonction de la gravité intrinsèque du comportement sanctionné, indépendamment de sa qualification juridique.
Enfin, une réforme plus ambitieuse consisterait à repenser l’architecture même de notre système répressif, en clarifiant les rôles respectifs des différentes instances et en évitant les chevauchements de compétences. Cette réforme structurelle pourrait passer par un regroupement de certaines instances répressives ou par une redéfinition de leurs périmètres d’intervention.
- Généralisation des mécanismes d’aiguillage entre voies répressives
- Définition de critères objectifs de répartition des dossiers
- Renforcement de la coordination entre autorités répressives
- Instauration d’un plafond global pour les sanctions cumulées
- Réforme structurelle du système répressif
Ces différentes pistes de réforme ne sont pas exclusives les unes des autres et pourraient être combinées pour aboutir à un encadrement cohérent et respectueux des droits fondamentaux. Leur mise en œuvre nécessiterait toutefois une volonté politique forte et une concertation approfondie entre tous les acteurs concernés : législateur, Conseil constitutionnel, juridictions suprêmes, autorités administratives indépendantes et professionnels du droit.
Les perspectives d’évolution face à un enjeu démocratique majeur
La question du cumul des sanctions dépasse le cadre strictement juridique pour s’inscrire dans une réflexion plus large sur l’équilibre entre répression et protection des libertés dans une société démocratique. Les évolutions récentes témoignent d’une prise de conscience progressive des risques inhérents à la multiplication des instances répressives et à leur manque de coordination.
Le législateur français semble désormais plus attentif à cette problématique, comme en témoignent les réformes introduites par la loi Sapin 2 ou la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Ces initiatives législatives, bien que partielles, marquent une volonté de rationaliser le système répressif et de mieux garantir les droits des justiciables.
Les juridictions suprêmes françaises ont également fait évoluer leur jurisprudence pour tenir compte des exigences européennes. Le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de cassation ont progressivement intégré le principe non bis in idem dans leur raisonnement, conduisant à un encadrement plus strict des cumuls de sanctions.
Toutefois, ces avancées restent fragiles et incomplètes. De nombreuses zones d’ombre subsistent, notamment concernant l’articulation entre sanctions disciplinaires et sanctions pénales, ou encore la question des cumuls impliquant des sanctions prononcées par des autorités étrangères dans un contexte d’internationalisation croissante des activités économiques.
Le défi de l’internationalisation des procédures répressives
La dimension internationale de la problématique du cumul des sanctions constitue un défi supplémentaire. Un même comportement peut aujourd’hui faire l’objet de poursuites dans plusieurs pays, en application du principe de territorialité ou d’autres critères de compétence extraterritoriale.
Ainsi, une entreprise française impliquée dans un cas de corruption internationale peut être poursuivie simultanément en France sur le fondement de la loi Sapin 2, aux États-Unis en application du Foreign Corrupt Practices Act, et au Royaume-Uni sur la base du UK Bribery Act. Cette multiplication des procédures à l’échelle internationale soulève des questions complexes quant à l’application du principe non bis in idem dans un contexte transnational.
Des mécanismes de coopération internationale, comme les accords de reconnaissance préalable de culpabilité (ARPC) ou les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), tentent d’apporter des réponses à ces défis. Ces instruments permettent une coordination entre les autorités répressives de différents pays et peuvent contribuer à éviter les doubles sanctions disproportionnées.
Au niveau européen, le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice et l’harmonisation progressive des législations nationales devraient favoriser une meilleure prise en compte des sanctions déjà prononcées dans un État membre lors de poursuites engagées dans un autre État membre. La CJUE a d’ailleurs reconnu dans l’arrêt Spasic du 27 mai 2014 que le principe non bis in idem s’applique dans un contexte transfrontalier au sein de l’Union européenne.
À plus long terme, une réflexion approfondie sur notre modèle de justice répressive semble nécessaire. L’inflation des instances répressives et la multiplication des textes d’incrimination conduisent à un empilement de sanctions qui nuit à la lisibilité et à la prévisibilité du droit. Une simplification et une rationalisation du système répressif pourraient contribuer à réduire les risques de cumul tout en préservant l’efficacité de la répression.
Cette réflexion devrait s’inscrire dans une approche globale intégrant non seulement les aspects juridiques, mais aussi les dimensions éthiques, sociologiques et politiques de la sanction. Elle devrait associer l’ensemble des parties prenantes : magistrats, avocats, universitaires, représentants des autorités administratives indépendantes, mais aussi citoyens et justiciables.
En définitive, la question du cumul des sanctions nous renvoie aux fondements mêmes de notre pacte social et à l’équilibre délicat entre la nécessaire protection de l’ordre public et la garantie des droits individuels. Dans une société démocratique, la répression ne peut être légitime que si elle respecte les principes fondamentaux de proportionnalité, d’équité et de respect des droits de la défense. L’encadrement des cumuls de sanctions constitue à cet égard un enjeu majeur pour préserver la confiance des citoyens dans leur système de justice.